Le 19 janvier dernier, Elin Engstörm aka Loopsel se produisait aux côtés de Charlott Malmenholt (Treasury of Puppies) sur la scène de Closer Music chez Lafayette Anticipations. Pendant leur set, le magnétisme irrésistible de l'underground suédois a rempli l'air parisien, alors que les deux artistes basées à Göteborg déversaient des boucles de guitare et des voix pleines de reverb tirées du dernier album de Loopsel, Öga för Öga . On les a rencontrées pour discuter scène locale et public international, vengeance et trolls sylvestres.
Göteborg est une ville de taille plutôt modeste qui possède pourtant une scène musicale underground extrêmement active et reconnue dans le monde entier. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette scène et sur les relations entre les artistes qui la constituent ?
C : C'est vraiment un mélange. Certain.e.s viennent de la scène noise, d'autres d'une tradition plus post rock, mais tout évolue et les genres se combinent à mesure que de nouveaux.elles artistes arrivent dans la ville. C'est aussi un environnement très accueillant.
E : Les gens ici sont curieux.ses de trouver des moyens d'expression nouveaux et différents, et beaucoup d'entre nous sont désireux.ses de mettre en avant différentes formes d'expression.
Même si cela n'a pas toujours été le cas, j'ai l'impression que la tolérance et la curiosité sont les raisons pour lesquelles notre scène musicale est si vivante. Il n'y a pas de gatekeepers, ni de personnes qui considèrent que telle ou telle chose n'a pas sa place dans la scène.
Quand j'étais plus jeune, je faisais partie de la scène pop, qui était très étroite d'esprit. Il fallait écouter C86, et rien d'autre. Mais la scène actuelle que nous avons façonnée ensemble est très différente : il n'y a pas de prestige en jeu. L'expérimentation est centrale. Peu importe que cela sonne bien ou pas.
Diriez-vous que cette ouverture d'esprit a façonné l’évolution musicale de Loopsel ?
E : Je faisais de la musique depuis longtemps, mais je la gardais pour moi. C'est en montrant mes productions à Matthias de Discreet Music* que j'ai compris que je pouvais en faire des disques. Je ne pense pas que j'aurais réalisé cela sans lui.
* Disquaire et label basé à Göteborg
En tant que membres d'une scène underground dans une ville éloignée, quel est votre public et comment vous connectez-vous avec le reste du monde ?
C : Les artistes de Göteborg peuvent toucher un public international parce qu'il y a beaucoup de gens ici qui travaillent dur pour rendre leur musique disponible. Discreet Music, par exemple, est un label très important pour notre scène parce qu'il promeut des artistes locaux.ales qui n'ont jamais été publié.e.s auparavant et leur offre une plateforme.
En Suède, je me rends compte que très peu de gens s'intéressent à Treasury of Puppies, en revanche il y a des gens à l'autre bout du monde qui veulent nous programmer. Peut-être parce que la langue suédoise leur semble exotique.
E : La majeure partie de notre public se trouve au Royaume-Uni. NTS aide beaucoup à diffuser notre travail à l'étranger. Carla Dal Forno a joué Loopsel et Treasury of Puppies dans l'un de ses mixes, ce qui nous a en quelque sorte propulsées.
Votre dernier album, Öga för Öga, explore des considérations sur la vengeance, la justice et la colère dont les fondements sont partagés en anglais dans vos notes de pochette, alors que la plupart de vos auditeurs (nous y compris) ne peuvent pas comprendre les morceaux en suédois. Comment cette ambiguïté influence votre relation avec votre public ?
C : Lorsqu'il s'agit de jouer en concert, l'un des aspects les plus importants est l'honnêteté. Si le public ne comprend pas nos paroles, il peut au moins sentir à quel point nous sommes honnêtes dans notre manière d’aborder certains sujet. C'est ce qui fait que ça vaut le coup, malgré tout le stress.
E : Parfois, je pense à nos auditeurs, et je me demande comment cela sonne pour un étranger. Bien qu'il n'y ait pas beaucoup à dire sur les paroles suédoises - car il n'y a en réalité que peu de paroles -, écrire dans ma langue maternelle est une façon très personnelle de travailler. C'est ainsi que je trouve un thème que je veux approfondir. Cette fois-ci, il s'agissait de la vengeance, ou de pensées de vengeance.
D'où est venu ce thème ?
E : La tension et la violence sont omniprésentes dans le monde, et maintenant elles ont explosé avec la situation en Palestine. Le sentiment de frustration et d’impuissance alimentaient nos pensées de vengeance, qui couvaient sous la surface.
C : Je me souviens du paysage politique suédois lorsque Elin m'a demandé de collaborer avec elle sur Öga för Öga. Nous étions entourés de politicien.ne.s qui ne se souciaient de rien d’autre que de leur soif de pouvoir. Et nous avions ce besoin interdit de recourir à la vengeance, parce qu’on se sentait ouvertement provoqué.
C'est ainsi que j'ai décidé de créer un tissu de textes " dérobés " qui abordent le thème de la vengeance et que les auditeurs pourraient reconnaître. Les paroles d'Öga för Öga sont un collage de textes de l'écrivaine suédoise Selma Lagerlöf, qui parle d'un troll dans la forêt qui veut se venger des humains, de la pièce grecque Médée et du poème de William Blake, Poison tree.
En parlant de trolls dans la forêt, il on ressent des influences folk dans votre dernier projet. Quelle est votre relation avec cette tradition musicale ?
E : J'écoute de la musique folk depuis longtemps. J'ai aussi un faible pour les berceuses et les vieilles chansons traditionnelles suédoises. Surtout les parties vocales, qui sont très mélancoliques et si sombres - elles sont merveilleuses ! J'écoute aussi beaucoup de folk américaine.
On sent bien cette nostalgie, et cette distance à travers les effets, évoquant de vieilles berceuses, revisitées avec vos singularités. Y a-t-il pour vous deux un besoin de renouer avec le passé - ou avec des influences passées ?
E : Oui, nous ne voulons pas nous rapprocher trop des berceuses, c'est pourquoi nous ajoutons ces effets éthérés. Mais il y a aussi un sentiment de proximité, avec l'idée que les gens du passé ne sont pas différents de nous.
C : L'utilisation de l'écho et de la reverb a du sens pour nous afin de créer un pont entre le passé et le présent. Nous nous intéressons aux récits, à ce qui crée une communauté et à la continuité de ces influences. Explorer cela à travers la musique nous permet de faire face au passé.
Qu'est-ce qui explique le passage d'une musique plus instrumentale dans votre premier projet, The Spiral, au rôle prépondérant de la voix dans Öga för Öga ?
E : Il y a deux explications à cela. La première est très pratique : J'ai créé The Spiral pour une installation artistique, et il ne devait pas y avoir de paroles.
L'autre explication est que je m'intéresse de plus en plus à l'utilisation de la voix comme médium artistique. Ces derniers temps, nous avons beaucoup travaillé avec des chœurs, en nous orientant de plus en plus vers les voix. C'est intéressant de travailler avec la voix, car elle est limitée d'une manière remarquable. Elle fait partie de nous-mêmes et reflète l'âme humaine - et j'aimerais explorer ce thème.
Vous jouez toutes les deux dans d'autres groupes (Monokultur et Treasury of Puppies), qu'est-ce qui vous a amenées à créer votre projet solo ? Comment gérez-vous le fait de faire partie de plusieurs projets en même temps ?
E : Le projet Loopsel a commencé lorsque j'ai joué pour une exposition d'art. Puis j'ai réalisé que je pouvais poursuivre dans cette voie, parce qu'à ce moment-là, Monokultur était un peu trop prenant pour moi. C'était pendant la pandémie, et j'étais constamment avec Julius*, nous faisions tout ensemble.
En ce moment, je n'ai pas beaucoup de temps pour moi, donc il est plus facile de continuer en solo que d'essayer de faire fonctionner les choses avec d'autres personnes qui sont également très occupées.
Mais Charlott et moi avons parlé de créer quelque chose de nouveau ensemble, un autre projet.
C : Nous espérons que ce nouveau projet pourra être mis en œuvre en 2024, nous ne voulons pas le faire traîner trop longtemps. Il faut créer quelque chose de nouveau pour ne pas s'ennuyer de ce que l'on fait, entre les répétitions et la préparation de concerts qui parlent de trolls dans la forêt pour qu'au final les gens ne comprennent pas ce que l'on raconte (rires).
*aka JJulius
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Interview réalisée par Mila Dutilh & Antoine Malo.
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