Le 7 juin prochain, Bait et Comic Sans joignent leurs forces pour une soirée à La Station - Gare Des Mines. Laksa et EMA nous feront l’honneur de venir en terrain francophone pour explorer les contrées bass et dubstep qui sont déjà sublimées par Christian Coiffure, Beatrice M., et Sleek Fata. C’est un plaisir pour nous d’avoir pu discuter avec Sleek Fata, co-fondateur de l’incontournable label Comic Sans, en amont de cet event. Dans cette interview, nous discutons de son approche basée sur la curiosité, la solidarité nécessaire dans cette scène française, ainsi que révéler de nouveaux projets artistiques !
mana: Tu organises une soirée avec Bait à La Station - Gare des Mines dans une semaine. Bait aime bien préparer des cross-parties. Toi aussi ?
sleek fata : Oui, on en fait pas mal. L’an passé, on a fait une tournée du label, et c’était quasiment que des collabs. Étant donné qu’on représente une musique de niche, c'est toujours plus facile de ramener les bonnes audiences en collaborant avec d’autres crews.
En tant que label on a aussi des économies assez fragiles et c’est donc plus facile de prendre des risques à deux. Et dans les scènes où on évolue, celles de la musique indépendante faite par passion et éloignée du capitalisme, on préférera toujours la collaboration à la concurrence. La musique pour nous ça relève avant tout du partage.
La collaboration semble avoir une part importante dans tes choix professionnels : en termes de soirées, en b2b, en co-gestion de label avec gboi qui gère maintenant Bad Tips. Comment s’est passée cette aventure ensemble chez Comic Sans?
On collabore toujours, c’est mon meilleur ami. On a monté le label ensemble, on a perdu de l’argent ensemble, c’est mon soss! Mais on a deux manières très différentes de fonctionner. Par exemple, je suis assez obsessionnel sur la direction artistique, j’ai beaucoup de questions existentielles sur l’esthétique que j’ai envie d’aborder. Gboi quant à lui, il vit la musique de façon plus spontanée. Quand quelque chose lui plait, il va le jouer, le sortir direct sans se poser de questions. Je pense qu’il a raison à 100% mais je pense aussi avoir raison, aucune des deux démarches n’est meilleure mais elles ne sont pas forcément toujours compatibles. On a des énergies différentes et au lieu d’avoir des prises de tête, il vaut mieux que les deux énergies puissent s’exprimer à leur façon. Du coup on a trouvé ce compromis qui est que je gère Comic Sans et lui il a monté son label Bad Tips.

J’ai l’impression qu’avec Bad Tips, gboi fait beaucoup de premières, qu’il sort très régulièrement. Quelle est ta stratégie à toi pour Comic Sans maintenant ?
Vis-à-vis des premières, je suis un peu un gros rageux! Je fonctionne seulement avec quelques chaînes de premieres avec qui j’ai des contacts réguliers et qui respectent ce qu’on fait. Mais pour les autres, je suis plutôt dans un mood “fuck them” car pendant très longtemps aucune d’elles ne répondaient à mes mails. Aujourd’hui je préfère garder nos bangers pour notre propre compte soundcloud et accumuler des followers sur nos propres comptes plutôt que de les donner à d’autres chaînes qui ne nous ont jamais calculé. Avec le temps on a réuni pas mal de monde sur notre bandcamp et sur notre soundcloud du coup quand on sort quelque chose en général ça tourne bien. Et je conseille aussi de faire pareil aux labels qui se lancent. Les premières c’est très bien et malgré mon mood de gros hater je respecte leur place dans l’écosystème, mais évitez d’en faire trop, il vaut mieux accumuler des followers vous-mêmes c’est une stratégie payante sur le long terme.
Comment tu qualifierais la DA de Comic Sans Records ?
Je pense que le point commun entre toutes nos sorties, c’est le côté weirdo avec un sound design bien léché et avant-gardiste. Le label est jusqu’à présent plutôt connoté post-club et bass music mais il est aussi connu pour sa DA un peu libertaire et évolutive, on sait jamais à quoi va ressembler la prochaine sortie. Aujourd’hui j'ai envie d'élargir un peu le spectre de la direction artistique à d'autres choses que le club, comme du trip-hop, du rock, du dub, par exemple. Ça va être ça un peu, les prochaines pistes d’exploration. Une de mes plus grosses inspirations c’est le label AD93 dans le sens où ils arrivent à sortir de la club music mais aussi des projets plus instrumentaux complètement fous comme ceux de Moin, V/Z ou encore Quade.
Ce qui m'intéresse majoritairement dans la musique, c'est de choisir des projets qui ont leur identité propre, originale et avec un côté aussi avant-gardiste. Je n'ai pas la prétention de dire qu’on sort des choses que personne n'a jamais entendu ailleurs, parce que c’est faux et pour moi ce n'est pas possible. Quand tu penses avoir sorti quelque chose de nouveau, il y a déjà 100 personnes qui l'ont fait avant. Mais en tout cas, j'ai une curiosité, un appétit pour les sons qui sortent un peu de l'ordinaire, et j’aime leur donner un espace que ce soit sur le label ou sur mes émissions Cremation of Care sur Lyl radio.
Et au niveau visuel comment ça se passe ?
Le label a une histoire assez fun et torturée par rapport à la DA visuelle. Au début, on sortait des trucs vraiment visuellement éclatés, c’était un peu le concept et la raison pour laquelle on s’appelait Comic Sans Records. Puis petit à petit, j'ai éduqué mon oeil au design et j’ai commencé à trouver la blague de l’emoji et du paint-style un peu moins drôle. On a commencé à collaborer avec de vrais graphistes à ce moment-là. Il y a eu un vrai tournant quand Virgile Flores a rejoint le projet et a apporté sa patte au catalogue. Aujourd’hui c’est une grosse reusta, il a déménagé à New-York et il a plus forcément le temps de bosser sur des petits projets comme le nôtre, mais il reste toujours dans nos cœurs. Donc soit on bosse avec d’autres designers/illustrateurs, soit je fais les artworks moi-même.
Pour Christian Coiffure, par exemple, c’est moi qui me suis collé à l’artwork. Mais pour la prochaine sortie, et dans beaucoup de cas, je demande un moodboard aux producteur.ice.s. et avec ce moodboard, j’essaie de trouver un point commun avec le côté contemporain du label, et je trouve ensuite des illustrateur.ice.s ou graphistes qui pourront faire ce lien.
C’est génial d’avoir un œil sur l’évolution globale du projet. Du coup, pour gérer un label comme le tien, il faut savoir rester curieux·euses, trouver de nouveaux talents, être un peu curator au final. Quelles sont les qualités requises pour pouvoir lancer son label et quels sont les impératifs pour que ça perdure dans le temps ?
Tout d’abord ça dépend de pourquoi tu veux lancer ton label. Il y a plein de façons différentes d'avoir un label et pour plein de raisons différentes. Donc, je pense qu'il n'y a pas de vérités sur comment gérer un label. Mais si tu as un label pour les mêmes raisons que celles qu’on a pour Comic Sans, je pense qu’il faut avant tout être super curieux, s’intéresser à tout. Il faut savoir se tenir au courant de ce qu’il se fait, faire de la veille pour être en phase avec son temps. C’est important pour distinguer ce qui a été déjà trop exploré de ce qui mérite vraiment de l’être.
Avoir un label, personnellement, je le prends un peu comme un sport. Aller demander des EPs à des artistes qui ont déjà été sortis ailleurs, c'est super facile et n'importe qui peut le faire. Par contre, aller chercher des projets qui n’ont jamais eu de visibilité, et vouloir les porter vers le haut, c’est prendre plus de risques et c’est plus intéressant selon moi.
Sinon en termes de conseil à donner, c’est important d’y aller étape par étape et de ne pas se brûler les ailes directement. Typiquement, vouloir utiliser tout son budget pour faire du vinyle dès la première sortie ce n'est pas forcément une bonne idée. Ça peut être très démotivant de lancer ton projet et de perdre de la thune dès le début. Il vaut mieux se construire un petit trésor de guerre avant de prendre ce genre de risques. Et dernier conseil, il ne faut pas avoir peur de se lancer dans la création d’un label même si tu as l’impression que ta vision n’est pas 100 % aboutie. C'est des choses qu’on apprend petit à petit et qui se peaufinent avec le temps. Les gens ne se souviennent jamais des erreurs que tu as faites à tes débuts, mais ils te respectent pour là où tu en es aujourd’hui. Donc il ne faut pas avoir peur de faire des erreurs, tu les corrigeras ensuite.
Penses-tu qu’il y a eu des barrières à l’export de talents français à l’étranger ?
Déjà, on n'a pas forcément de gros festivals qui rayonnent à l’international. On n’a pas beaucoup de médias qui sont lus à l’international non plus, comme Resident Advisor, par exemple ou des grosses chaînes de podcast. Nos audiences ne sont pas toujours internationales donc ça ne permet pas de faire éclore une scène et de mettre la lumière dessus. Il n’y a pas beaucoup de labels qui rayonnent ailleurs qu’en France aussi. Niveau artiste aussi, il y en a peu qui s’exportent à l’étranger! Dans la scène “bass” on peut parler de Toma Kami, Simo Cell, Amor Satyr, Mika Oki ou récemment Beatrice M.
Justement, en parlant de Beatrice M., je trouve qu’il y a quelque chose de très solidaire qui se passe. Grâce à son ascension, Béatrice tire les autres vers le haut aussi, que ce soit en France ou outre-Manche.
Effectivement, je pense que Beatrice M., a une place centrale dans la bass music française aujourd’hui. Il y a beaucoup de gens qui comptent sur iel pour faire avancer les choses que ce soit au niveau de la place du dubstep qu’au niveau de la représentation des personnes FLINTA. Et ses initiatives sont géniales : typiquement, lancer des soirées dubstep paritaires, only vinyles, c'est du jamais vu. C’est grâce à des gens comme ça qu’on crée un mouvement et qu’une scène avance et son énergie m’inspire beaucoup.
Comment s'est faite la collab avec Bait ?
Avec Beatrice M. ça fait plus de deux ans qu'on échange de la musique, qu'on se dit "oh tiens écoute ce banger", qu'on s'invite et qu'on se soutient mutuellement dans nos projets respectifs. C'était assez évident de collaborer. On a aussi un appétit en commun pour la bass music deep donc musicalement, on trouve facilement des points d'accord. Et puis ça fait aussi une jolie équipe, le label vétéran allié au jeune label plein d'énergie, ça a du sens et c'est cool !
Est-ce que tu peux m'en dire un peu plus sur les artistes qui vont jouer ce soir-là ?
Il y aura Laksa, qui est un de mes producteur.ice.s préféré.e.s dans la scène bass actuelle. Il porte en lui cet héritage UK Bass dans la continuité du hardcore continuum, mais avec une approche très avant-gardiste. Il est à la pointe de la club music un peu aventureuse, et il parait qu’en DJ set, il a la même approche. On se réjouit de l’accueillir.
Ensuite, il y aura Ema, qui est pour moi l’équivalent irlandais de ce que représente Beatrice M. en France. Elle est à la tête du label Woozy, qui a une très belle audience. Pareil, je n’ai pas eu l’occasion de la voir jouer en live, mais on m’a dit que son set dans un célèbre club berlinois qu'on boycotte aujourd'hui était l’un des meilleurs de l’année dernière.
Enfin, il y aura Christian Coiffure, qui est un très bon ami et une des figures qui ont fait le label Comic Sans. C’est un artiste qui pour moi a vraiment sa patte à lui, il s’inscrit dans le côté assez deep, minimaliste et psychédélique de la club music mais je trouve qu’il évolue en dehors des tendances actuelles et qu’il fait son propre son. Il a pour moi une vision très précise et méticuleuse de ce qu’il produit et ce qu’il joue. On lui a commandé un live et il bosse dessus depuis des mois, j’ai vraiment hâte d’écouter ça !
Et pour finir en warm-up duty, on retrouvera Beatrice M. et Sleek Fata, donc moi-même, en set dubstep vinyl only.
Et Sans oublier Dylan Cote, un VJ français qu’on a découvert récemment qui fait un taff de dingue et qui prendra les commandes de la projection visuelle de la soirée!!

Mixer vinyle, c'est quelque chose que tu fais régulièrement ou c'est un peu un challenge ?
Quand j’ai commencé à mixer, c’était principalement en vinyle. C’est un truc que j’ai lâché lorsque je me suis ouvert à d’autres horizons comme la club music contemporaine, qui est rarement pressée en vinyle. Ces dernières années j’ai laché les disquaires pour Bandcamp qui est mon terrain de jeu favori, donc c’est quelque chose que je n’avais pas fait depuis longtemps. Mais Beatrice M., m’a demandé “t’es chaud de jouer only vinyles avec moi ?” il y a quelques mois, pour une soirée qu’iel organisait au Meta à Marseille. Challenge accepted et pour cette occasion, j'ai commencé une collection dubstep. C’est une démarche différente de mixer comme ça et c’est fun, t’as juste ton bac de skeuds et rien d’autres, c’est du sans filet.
-
Interview réalisée par Adélaïde de Cerjat.
Vous pouvez suivre Sleek Fata, Comic Sans, ou Bait ici!
La billetterie pour le 07 Juin est disponible ici.
Suivez-nous sur Instagram pour notre actualité.
Comments